Le douzième homme

Rien de tel qu?un match nul zéro à zéro et une affiche aussi alléchante que Monaco Troyes pour s?éloigner du football et entrer sur le terrain de l?analyse. Qu?est ce qui motive les supporters d?une équipe ? Quels facteurs provoquent l?identification à une région, une ville, un club ? Quels sont les enjeux, et partant de là les conséquences ? Bienvenue dans un monde étrange : celui de l?amour du maillot.

Des Stéphanois qui assistent à la finale de la coupe de la ligue pour soutenir Bordeaux contre Lyon... Des Lensois qui manifestent contre l?utilisation de leur stade par Lille pour ses matches de coupe d?Europe à domicile... Des Parisiens et des Marseillais qui considèrent leurs confrontations comme les seuls matchs importants de la saison... Des Bordelais qui ne peuvent pas souffrir les Nantais et inversement... Autant de comportements bizarres qui ne trouvent pas d?explications pour le commun des mortels.

Pour décrypter cet état de fait, il faut d?abord en comprendre le contexte : un championnat de football professionnel basé sur des oppositions et dont l?enjeu est la suprématie nationale, laquelle est remise en cause tous les ans. Ce contexte s?inscrit dans un ensemble plus large qui est celui de la nation. C?est-à-dire une identité unique qui, sur la base du plus petit dénominateur commun, rassemble les identités régionales qui la composent.

Si l?on considère qu?une identité repose sur l?affirmation de ses propres valeurs, on comprend mieux comment et pourquoi une foule peut se ranger derrière un drapeau ou un blason. On s?affirme par rapport à soi et vis-à-vis des autres. Ainsi, on soutient l?équipe de son pays autant parce que l?on s?y reconnaît que parce qu?elle nous différencie. Par exemple, « le beau jeu à la française » versus « le trucage à l?italienne ».

Ramené à l?échelle d?une région, d?une ville ou d?un club, le principe demeure identique. Reste à déterminer quelles sont les valeurs de chacun dans un cadre de confrontation nationale. Si l?on se base sur la différence historique entre Paris et le reste du pays, on obtient une première opposition Capitale versus Province. 

La capitale se définit par le premier rang qu?elle occupe dans un pays ou une région donnés. Par exemple, Paris (Ile de France), Marseille (PACA) ou Lyon (Rhône-Alpes). Par opposition, la province se caractérise par le pays ou la région susnommée, à l'exception, bien sûr, de la capitale. Troyes, Le Mans ou Auxerre rentrent dans cette catégorie.

Toutefois cette classification rencontre ses limites dans le fait qu'elle ne prend pas en compte les spécificités des villes de second rang, qui sont autant de concurrentes pour les capitales, ni celles dont les caractéristiques intrinsèques ne sont pas celles de la province. On oppose donc aux deux premières catégories, celles de « non capitale » et de « non province ».

La « non capitale » se détermine par un rang secondaire assorti d?une autonomie propre, comme c?est le cas pour Monaco (Principauté), Nice (Comté) et Nancy (Lorraine). La « non province », elle, s'affranchit des spécificités locales grâce à des cactéristiques économiques différentes comme Sochaux (Peugeot), Saint Etienne (Manu France) et Lens (Mines).

Chacun de ces groupes véhicule des valeurs qui lui sont propres. Ainsi, la capitale est synonyme de pouvoir et de modernité, la « non capitale » d'autonomie, la province de terroir, et la « non province » de tradition. Ces valeurs sont le plus souvent adoptées par les dirigeants d?une équipe professionnelle et ses plus fervents supporters.

Dans une équipe provinciale, on s?attache d?avantage à l?attitude (courage) qu?aux résultats (adversité). Dans une équipe « non provinciale », on s?appuie sur des acquis (savoir-faire) pour affirmer sa différence (fierté). Dans une équipe capitale, on affiche son pouvoir (budget) pour tenir son rang (standing). Dans une équipe « non capitale », on préserve son autonomie (identité) pour troubler l'ordre établi (résistance).

Ces valeurs sont au c?ur de l?engagement de tous supporters. C?est à travers elles qu?ils se déterminent pour tel ou tel groupe, le plus souvent au détriment des autres, et qu?ils s?identifient aux idées reçues qui vont avec : le Parisien est hautain, le Marseillais susceptible, le Troyen cul-terreux, l?Auxerrois radin, le Stéphanois passéiste, le Niçois bagarreur, etc.

Dès lors l?enjeu est simple et les conséquences évidentes. Il s?agit de se déterminer par rapport à une norme et de la confronter aux autres. La coexistence peut être bon enfant, comme le montrent la plupart des échanges qui ont lieu sur ce site ou carrément haineuse comme le prouvent les incidents qui éclatent chaque semaine dans les stades.

Conclusion : l'amour du maillot, c'est bien, l'amour du jeu, c'est mieux !